Depuis le Moyen Âge, les figures du mendiant et du vagabond ont suscité
des réactions exacerbées. Et ce d’autant plus lorsque des bouleversements
sociaux (disette, épidémie, guerre) multipliaient leur nombre. Les pouvoirs en
place y voyaient alors une menace, et édictaient des mesures afin de réduire
les flots de misère ou tout au moins pour contrôler ces masses de gens devenus
indésirables. Aussi à l'aube du XVIIIe siècle la répression des gueux a déjà
une longue histoire. J’emprunte à Jérôme-Luther Viret
: « C’est au XVIe siècle que
l’on commença à exiger des pauvres valides qu’ils travaillent pour se rendre
utile, dans un contexte d’explosion du paupérisme, de crise de l’assistance et
de valorisation du travail. À partir de 1530, mendiants et vagabonds eurent le
choix entre l’expulsion et le travail. Il s’agissait d’initiatives locales
prises à l’encontre des mendiants forains. La législation royale vola au
secours des villes en contraignant les pauvres à rester dans leur paroisse
d’origine. L’ordonnance de Moulins de 1566 affirma ainsi solennellement que les
pauvres devaient être nourris au lieu de leur résidence. La tolérance et la
compassion reculèrent avec les progrès du mercantilisme, au moins dans les
élites sociales qui commandaient la répression, et un système de répression de
la mendicité se mit véritablement en place vers le milieu du XVIIe siècle. Si l’on excepte la déclaration
du 12 octobre 1686 prévoyant les galères dès la première arrestation, corrigée
quelques mois plus tard, la peine de galères resta réservée aux seuls mendiants
récidivistes ». L’afflux d’un grand nombre de pauvres vers les villes,
et notamment vers Paris, généré par le terrible hiver 1693-1694, ne fit
qu'amplifier la répression. Une nouvelle déclaration royale fut donc donnée à
Versailles le 25 juillet 1700.
Afin que le peuple soit informé, les déclarations royales étaient en
général lues aux prônes des messes paroissiales. En 1700, l’imprimerie étant
déjà bien développée en France, on peut imaginer qu’elles parvenaient sous
forme imprimée dans chacune des paroisses du royaume. Et si les curés n’avaient
guère d’autre choix que de se conformer à l'exercice de la lecture à leurs
ouailles, à la Fresnaie-Fayel la déclaration fut aussi recopiée in extenso dans
le registre de la paroisse.
Il n'y a guère de doute qu’il s’agisse d’une recopie pure et simple tant le
texte est proche des versions éditées à l’époque.
Pourquoi le curé de
la Fresnaie-Fayel éprouva-t-il le besoin de cette transcription ? A-t-il agi
par simple zèle, ou sous la contrainte ? Peut-être voulut-il seulement conserver
un texte dont on ne lui laissait pas la copie imprimée afin de pouvoir le proclamer
à nouveau lors de prônes successifs ? Nous ne savons pas.
Et
quel pouvait être l’impact d’une telle déclaration sur le peuple, et
notamment sur les mendiants et vagabonds ? Auprès des paroissiens de la
Fresnaie-Fayel rien ne permet de le savoir non plus. Par contre au niveau du
royaume elle n’eut pas l’effet escompté. Il resta difficile de prouver la
récidive, et les mendiants valides continuèrent à jouir d’une large impunité.
En 1724, il fut donc décidé d’intervenir à nouveau pour mettre un terme au
vagabondage et punir ceux qui persistaient à mendier ‘par pure fainéantise’,
les mendiants obstinés. Ce fut l’objet d’une nouvelle déclaration, donnée cette
fois par Louis XV à Chantilly, qui est souvent citée
comme l’un des textes les plus importants en la matière.
Mais
revenons à la déclaration de 1700. Voici, telle quelle, la transcription qui en
a été faite dans de registre paroissial de la Fresnaie-Fayel :
Déclaration du Roy
contre les
mandians et vagabonds
donné à Versailles le
vingt cinq juillet
1700
Louis par la grace de
Dieu Roi de France et de
Navarre : a tous
ceux qui ces presentes lettres
verront, salut. La sterilité
et les maladies
arrivées durant une
partie des années 1693 et 1694
ayant donné lieu a
plusieurs de nos sujets qui
demeuroient a la
campagne de chercher dans les
villes et
particulièrement dans celle de Paris
les secours dont ils
avoient besoin, la plus part
ont trouvé tant de
douceurs a gaigne par la
mandicité dans une
vie libertine et fainéante,
beaucoup plus quils
ne pouvoient recevoir par le
travail le plus rude
et le plus continu quils ne
pouvoient
faire : que l’heureuse moisson quil
plut a Dieu de donner
a touttes les provinces
de nostre royaume en
la ditte année 1694 et les
soins que l’on a pris
dans la suitte nous pû
les retirer de ce
genre de vie, dans laquelle mesme
ils elevent leurs
enfans. Et comme la pieté
et la prudence nous
obligent egalement demployer
touttes sortes de
moyens pour les rappeler a leur devoir
soit par une juste
punition de leur faineantise sils
y persistent, soit
par des secours et des charitez
que nous voulons bien
leur faire en cas quils
reprennent dans une
vie innocente la culture
des terres et les
autres ouvrages de la campagne
dont une partie
demeure faute d ouvriers, ou par
la cherté excessive
des salaires quils exigent, et
voulant en mesme
temps pourvoir autant quil
est possible au soulagement
des veritables pauvres et
leducation de leurs
enfans dont la conservation nous est
chere et tres
important a lestat.
A ces causes, nous
avons enjoint, et par ces presentes
signées de nostre
main, enjoignons a touttes sortes de
personnes, tant
hommes que femmes agées de quinze ans
et au dessus, valides
et capables de gaigner leur vie par
leur travail, soit
quils ayent un metier, soit quils nen
ayent pas, de
travailler aux ouvrages dont ils pensent
estre capables dans
les lieux de leur naissance ou de
ceux ou ils sont
demeurant depuis plusieurs années
a peine destre
traitez et punis comme des vagabonds.
Et a tous mandians,
faineants, vagabonds sans con[ition]
et sans employ de sortir des villes et autres lieux ou
ils [se]
trouveront, dans
quinzaine après la publication de [la]
presente declaration,
et de se retirer incessamment
par le plus droit
chemin dans les lieux de leur
naissance. Leur
faisant défense de s’attrouper en plus
grand nombre que
celuy de quatre. Comme aussy de
demeurer sur les plus
grands chemins, et d’aller dans les
fermes de la campagne sous pretexte dy demander laumosne,
a peine a legard des
hommes destre fustiger pour la premiere
fois, et pour la
seconde a legard de ceux qui n’ont pas
vingt ans du fouet et
du carcan, et ceux a l’age et de
vingt ans et au
dessus, d estre condamnes aux galeres
pour cinq ans ; et a legard des femmes d estre enfermées pour
un mois dans les
hôpitaux ; et en cas de recidive d estre
fustigées et
mises aux carcans. Deffendons a touttes personnes
de quelque qualité et
condition quelles soient, a peine de
cinq[an]te
livres d’aumone applicable aux hôpitaux generaux
des lieux, de donner
apres le dit temps aucune chose aux
dits mandians, soit
dans les eglises, dans les rues, ou
aux portes, et sans
préjudice des aumosnes qui se font
aux pauvres gouteux
dans leurs maisons ou ailleurs ;
et d autant que
plusieurs de ceux qui se retireront dans
les lieux de leur
naissance, auroient peine a trouver leur
subsistance par les
chemins, nous voulons bien donner
les ordres
necessaires aux commissaires departis dans
nos provinces pour y
pourvoir, en rapportant des certificats
du juge de police du
lieu de leur depart, contenant les
lieux de leurs
passages et celuy ou ils veulent aller.
Enjoignons a tous les
mandians valides de travailler
a la moisson,
vendanges et autres ouvrages de la
campagne pour y
trouver leur subsistance. Et pour
Et pour leur assurer
les moyens de vivre dans la
suite, nous donnerons
les ordres aux intendans et
commissaires departis
dans nos provinces de leur
faire fournir des
logements dans les paroisses ou
ils vourdont se
retirer ; et des ouvrages pour soccup[er]
pendant l hyver, ou
des secours selon leurs besoins
afin quils ayent du
moins le necessaire jusques au
mois de mars
prochain, dans lequel temps nous
ferons ouvrir des
hateliers publics proportionnes
au nombre des pauvres
qui auront besoin de travailler
pour subister. Et
pour faciliter lexecution de ce que
dessus, voulons quils
donnent incessamment aussi
aux curez des
paroisses, dans les quelles ils ont
dessein de se
retirer, afin quils en avertissent
les dits intendans et
commissaires departis.
Enjoignons aux
mandians qui ne sont pas
en etat a cause de
leurs incommoditez ou de la
caducité de gaigner
leur vie par leur travail
et de se retirer dans
les lieux de leur naissance
et de se presenter
aux hôpitaux generaux des
lieux ou ils sont, ou
de ceux qui en sont les plus
proches pour y estre
receus. En cas quils se trouvent
de la qualité cy
dessus marquée, et traitez aussy
que les autres
pauvres. Leur defendons de mandier
a peine pour la
premiere fois du fouet et du carcan
et pour la seconde,
dy estre enfermez. Faisons defense
aux administrateurs
des dits hôpitaux de les y
laisser sortir mesme
sous pretexte de manque de
fonds, au quel en cas
de besoin , il sera par nous pourveu.
Permettons aux femmes
pauvres qui ont des enfans
a la maternelle, de
se retirer dans les hôpitaux generaux,
et dy demeurer avec
leurs dits enfans pendant le
temps que lon
trouvera quelles pourront les allaiter,
et que les dits
enfans en auront besoin ; apres quoy elles
seront congediées
pour aller travailler aux ouvrages
dont elles sont
capables, et y laisseront sy elles veulent
les dits enfans, pou
y estre elevez et instruits ainsy
que les autres de
pareille qualité. Voulons que les
enfans qu nnt ny pere
ny mere, ny aucuns parents
qui en veuilent
prendre le soin, et qui nauront aucuns
biens, et qui ne sont
pas en age de gaigner leur
vie par aucune sorte
de travail, soient receus dans
les dits hôpitaux
pour y estre elevez et instruicts
jusque ce quils
soient en etat de pouvoir gaigner leur
vie suivant leurs
forces. Et pour exciler dans la
suite ceux qui auront
quitté la vie faineante
a soccuper a des
ouvrages de la campagne et y prendre
des etablissements
solides et permanents, leur
permettons de faire
valoir pendant cinqteu ans
des heritages jusque
a trente livres de revenu sans payer
aucune taille.
Enjoignons les laboureurs et autres gens
de campagne de leur
prester la semence dont ils
pourroient avoir
besoin pour ensemencer les dittes
terres, sur la
recolte desquelles ils auront un price
special jusqu’à
concurrence des avantages quils aur[ont]
faictes. Enjoignons
aux lieutenants generaux
de police de tenir la
main a lexecution de no[tre]
presente
declaration ; de faire arrester les dits
mandians qui se
trouveront dans les villes ou
ils sont etablis, et
dans les banlieues dicelles
Et a ceux des dits
juges qui sont graduez …
les procez et de
juger en dernier ressort avec
les autres officiers
des sieges presidiaux ou
principaux baillages
royaux des lieux
ceux des dits
mandians vagabonds valides et
qui peuvent gaigner
leur vie par leur
travail, lesquels
seront trouvez contrevenans
a nostre presente
declaration apres le temps
y porté, et de les
condamner aux peines qui
sont contenues sur
les temoignages de ceux qui
les auront veu
mandier, ou des archers qui auront
arrestez ou sur autre
preuve et note
suffisante de leur
mandicité et faineantise,
quil soit besoin d
aucune autre instruction
et de faire conduire
et enfermer les autres
dans les hospitaux,
dans les cas portez par nostre
mesme declaration.
Enjoignons aux lieutenant
criminels des dits
sieges, et en leur absence aux
lieutenans
particuliers, d instruire et de juger en
la mesme manière ls
dits procez dans les villes
ou il ny a point
encore de lieutenans generaux de police
etablis, ou lors qui
ne sont pas graduez. Enjoignons
aux lieutenans
criminels de robe courte, chevalliers
du guet, officiers et
archers de leur compagnie
et tous autres de
prester main forte aux dits lieutenans
generaux de police et
aux dits archers d executer
a peine
d’interdiction, les ordres quils leurs
donneront pour
lexecution de nostre presente
declaration.
Enjoignons pareillement aux prevost
de nos cousins
les Marechaux de France
vice senechaux, leurs
leiutenans et autres
officiers de leur
compagnies, d’arrestez dans la
campagne et sur les
grands chemins les dits
mandians qui se
trouverons contrevenans
a nostre presente
declaration, et aux dits prevost
et vice senechaux d
instruire leur procez et de les juger
en dernier ressort
avec les officiers du plus proche
presidial ou
principal siege royal en la maniere
en la manière et avec
les formalitez accoutumees.
Si donnons en
mandemant a nos ames
et feaux conseillers
les gens tenant nostre co[ur]
de parlement a Paris
que ces presentes ils
ayent a faire lire,
publier et enregistrer, et le
contenu en icelles,
garder, observer et executer
selon leur forme et
teneur, cessant et faisant
cesser tous troubles
et empechements contraires
Car tel est nostre
plaisir ; en temoins de quoy
nous aurons faict
mettre nostre scel a
ces dittes presentes.
Donné a Versailles le
vingt cinq iesme jour
de juillet lan de grace
mil sept cents, et de
nostre regne le
cinquante huit iesme.
Signe Louis et plus
bas par le Roy phes
Phelypeaux
et scellées du grand
sceau de cire jaune
Vagabonds et mendiants dans les campagnes au nord
de Paris dans le premier tiers du XVIIIe siècle, Jérôme-Luther Viret,
Annales de démographie historique, 2006/1 n° 111, pages 7 à 30
A.D. Orne, EDPT141_8, vues 269 à 276
dessin paru dans 'L'Assiette au Beurre', n° 361, 29 février 1908, page 8