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dimanche 5 octobre 2025

Guillaume Le Camus devenu invalide après le combat de Sandershausen

Guillaume Le Camus nait à Champfrémont (Mayenne) le 10 décembre 1729 de parents originaires de la Ferrière-Bochard (Orne), une paroisse des environs. Il est le quatrième d’une fratrie de onze enfants. Son père est maréchal comme beaucoup d’autres membres de sa famille, tels son grand-père paternel à la Ferrière-Bochard, un oncle paternel à Ciral (Orne), deux frères à Saint-Denis-sur-Sarthon (Orne) … Un environnement familial qui explique la même voie suivie par Guillaume. Ce métier nécessitait un apprentissage long et difficile, souvent il se transmettait de père en fils, ou au sein d’une même famille, sur plusieurs générations, voir sur plusieurs siècles.

 

Le recrutement de la milice par tirage au sort, ici dans la paroisse d’Authon, près de Dourdan. Il s’effectue en présence du subdélégué de l’intendant d’Orléans Les jeunes du village assemblés au centre de la place doivent tirer un bulletin dans un chapeau (Dessin anonyme de 1708)

Toutefois avant de s'installer maréchal, Guillaume est contraint d'aller servir dans la milice provinciale de la Mayenne, suite à un tirage au sort qui lui a été défavorable (cf encadré en fin de texte). Au début de l'année 1754, il commence son service, celui-ci doit durer 4 ans. Mais en 1757, le Roi a besoin d’hommes pour renforcer son armée régulière, en effet depuis un an la France est en guerre[1]. Guillaume est alors extirpé de la milice pour être incorporé dans la compagnie de Montsanson du régiment de Beauvoisis.

Cela fait quelque temps que ce régiment d’infanterie opère sur les côtes normandes pour parer à la menace anglaise, quand une nouvelle orientation stratégique décide de l'affecter à l’armée que doit commander le Prince de Soubise en Allemagne. Le 17 juin 1757 le régiment de Beauvoisis quitte donc Dieppe. C’est le début d’une longue marche à pied à travers l’Europe pour le fantassin qu’est maintenant Guillaume. Le 1er novembre le régiment est dans les environs de Leipzig. Quatre jours plus tard, les prussiens attaquent à Rosbach, les troupes françaises sont défaites. Le régiment de Beauvoisis se retire sur Freyburg pour passer la rivière Unstrutt et marche ensuite par différents chemins pour se rendre à Nordhouse. 

Le 23 juillet 1758, le régiment de Beauvoisis fait partie des troupes placées sous les ordres de Victor François de Broglie qui se portent à l'attaque du village de Sandershausen (près de Cassel), où les Hessois ont installé leur campement. Les combats commencent dans la matinée, au cours de la journée les deux armées prennent tour à tour l’avantage. La fin de la bataille est confuse mais une charge à la baïonnette de l'infanterie royale finit par submerger les Hessois. Les français emportent la décision vers 6 heures et demie du soir. 

 

 

Malheureusement pour lui, Guillaume ne sort pas indemne du combat de Sanderhausen, il a reçu un coup de feu dans la cuisse gauche qui l‘estropie et le rend définitivement inapte au service. A partir de là, nous perdons sa trace pendant une dizaine de mois, laps de temps sans doute nécessaire pour qu’il revienne jusqu’à Paris compte-tenu des difficultés qu’il a désormais pour marcher. Le 28 juin 1759 il est admis à l’Hôtel des Invalides. Sur le registre de l’établissement qui mentionne ces quatre années de service, les trois passées dans la milice plus celle dans le régiment de Beauvoisis, il est surnommé La Flamme. Nous ne savons pas d’où lui vient ce sobriquet ; peut-être de l’outil du même nom, un couteau à plusieurs lames, qu’utilisaient autrefois les maréchaux pour soigner les chevaux[2].

Retour au pays

Revenu au pays, et bien qu'invalide, Guillaume Le Camus se remet au travail. Il est compagnon maréchal quand, le 10 janvier 1760, il épouse à Saint-Denis-sur-Sarthon Anne Drouin. C’est la fille d’un maître maréchal, parfois qualifié canonier, chez qui il est probable que Guillaume continue de se former au métier.

L’activité de maréchal nécessitait un gros investissement financier, il fallait un local pour l'atelier, une forge où le métal était mis à chauffer, mais aussi de nombreux outils (enclume, marteaux, tenailles, pinces …). Guillaume n’avait donc sans doute pas eu les moyens de s’établir en tant que maréchal dès son retour du service militaire. Il faut attendre l’année 1763 pour le trouver installé à son compte à Lignières-la-Carelle (Sarthe). C'est dans cette paroisse que sa femme lui donne un deuxième garçon, et où cinq autres naissances vont suivre. 

 
Le maréchal-ferrant flamand,  lithographie de 1822 par Théodore Gericault (Wikimedia Commons).

En 1773 un dernier enfant voit le jour à la Fresnaye-sur-Chédouet (Sarthe), mais il meurt après quelques heures de vie. Le 23 mai 1774 Guillaume décède à son tour dans la même localité, à l’âge de quarante-trois ans.

Guillaume Le Camus avait atteint une certaine notoriété, sa signature figure aux bas d’un grand nombre d’actes dans le registre paroissial de Lignières-la-Carelle. Son métier de maréchal lui conférait de la considération[3], de même que son passé militaire comme le suggère la mention « ancien soldat appartenant à la Maison Royale des Invalides » dans son acte de décès.

Anne Drouin, sa femme, meurt une quinzaine d’années après lui, en 1789. Plus tard nous retrouvons deux de ses fils exerçant la profession de maréchal à Saint-Denis-sur-Sarthon. Un troisième est marchand de fruits à Pré-en-Pail (Mayenne) au début des années 1800. 

La milice provinciale

La milice provinciale est instaurée en 1688 sous le règne de Louis XIV. Considérant, en effet, que les troupes réglées ne suffisent plus, Louvois trouve dans la vieille obligation faite aux sujets de défendre leur communauté menacée le moyen d’alimenter l’armée. Il constitue alors des milices royales, composées de civils et destinées à servir de forces auxiliaires aux troupes régulières. Il ne s’agissait pas à l’origine d’instaurer un service militaire auquel auraient été astreints tous les hommes en âge de porter les armes, mais d’augmenter les effectifs de l’armée à moindre coût.

L'ordonnance royale du 25 février 1726 préparée par le marquis de Breteuil a fait de la milice provinciale une troupe permanente dont l'objectif était d'« avoir toujours sur pied dans l'intérieur du royaume un corps de milice qui, s'exerçant pendant la paix au maniement des armes, sans déranger les travaux qu'exige l'agriculture, ni sortir des provinces, pût être prêt à marcher sur les frontières pour en augmenter les forces dans les besoins les plus pressants de l'État. » C'est sous cette forme qu'elles servirent pendant les guerres de Succession de Pologne (1733-1738), de Succession d'Autriche (1741-1748) et de Sept Ans (1756-1763).

L’ensemble des provinces du royaume étaient mises à contribution, le volume des levées augmentait quand survenaient des guerres, d’où l’importance numérique des miliciens au sein de l’armée française, ainsi ils en représentaient 36 % pendant la guerre de Sept Ans. A ce moment-là les miliciens, recrutés dans la tranche d’âge des 16 à 40 ans devaient effectuer un service de 4 ans*.  Le recrutement s’opérait par tirage au sort. Le cadre du recrutement était la paroisse, le volume tenait compte de son importance. Il existait cependant un grand nombre de cas d’exemption. Échappaient tout d’abord à la milice tous ceux qui ne répondaient pas aux critères physiques adéquats (la taille minimum était fixée à au moins 5 pieds de haut, soit plus de 1,62 m). Puis, étaient écartés du service les hommes mariés, les domestiques des nobles et des ecclésiastiques, les officiers de justice et de finances, le fils d’une veuve qui gérait les biens familiaux, les garçons tuteurs de leurs frères et sœurs, le berger d’une communauté possédant plus de 300 têtes de bétail, le maréchal-ferrant d’une paroisse d’au moins 50 feux, etc. Aussi, exceptionnellement, les paroisses étaient autorisées à recruter des remplaçants dont elles devaient rémunérer le « volontariat ». Il fallait alors trouver de l’argent en taxant les paroissiens.

Devenue permanente à partir de 1726 la milice a perduré jusqu’en 1789. Que ce soit sous forme de mobilisation directe ou de taxe, cela a toujours été très mal supporté par les populations.

* Le minimum fut porté à 18 ans en 1765, et la durée du service fut augmentée à 6 ans.


La famille de Guillaume Le Camus

 

Sources :

Registres paroissiaux consultés sur les sites des Archives départementales : Champfrémont, Pré-en-Pail (Mayenne) ; Ciral, La Ferrière-Bochard, Gandelain, Saint-Denis-sur-Sarthon (Orne) ; Lignières-la-Carelle, La Fresnaye-sur-Chédouet (Sarthe).

Base de Ass. hoteldesinvalides.fr, SHD/GR/2Xy37, acte n° 083544

Journal militaire du chevalier de Luchet, officier au régiment de Beauvoisis publié et annoté par Emile Biais, Imprimerie G. Chasseignac, Angolême1890

Atlas des plus mémorables batailles, combats et sièges des Temps Ançiens, du Moyen Âge et de l'Âge Moderne, Franz von Kausler, 1831.

La milice : être combattant malgré soi, Florence Pauc, in La construction du militaire, Vol. 2, édité par Benjamin Deruelle et Arnaud Guinier, Éditions de la Sorbonne, 2017.

Les milices provinciales dans le Nord du royaume de France à l'époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles), Alain Joblin, in Revue du Nord 2003/2 n° 350, pp 279 à 296, Éditions Association Revue du Nord.

Histoire des milices provinciales (1688-1791), J. Gebelin, Paris, Hachette, 1882.



[1] La guerre de Sept Ans, qui se déroule de 1756 à 1763. Il s’agit d’un conflit majeur de l'histoire de l'Europe, l'un des premiers qui puissent être qualifiés de « guerre mondiale » ou a minima de « guerre mondialisée » en raison du grand nombre de belligérants. Elle concerne en effet les grandes puissances européennes de cette époque, la France alliée à l'Autriche et la Grande-Bretagne alliée à la Prusse. De nombreux autres pays européens participent cependant à cette guerre, notamment l'Empire russe aux côtés de l'Autriche et le royaume d'Espagne aux côtés de la France. Elle a lieu sur des théâtres d'opérations situés sur plusieurs continents, notamment en Europe, en Amérique du Nord et en Inde.

[2] La flamme de maréchal-ferrant a été particulièrement utilisée dans l'armée à une époque où la saignée sur les membres inférieurs des chevaux était censée débarrasser les "mauvaises humeurs sanguines" et traiter les abcès.

[3] A propos de la maréchalerie, André-J. Brogniez, médecin-vétérinaire en 1850, notait : « … de toutes les professions dont l'agriculture dépend, c'est elle qui passe pour être la première ; aussi celui qui l'exerce, possédant les capacités nécessaires, a-t-il un mérite qui le place, dans l'opinion publique, au-dessus de l'artisan vulgaire ; d'ailleurs il est reconnu que le maréchal bien famé est considéré partout, à la campagne, comme occupant le même rang que le fermier. Cette profession a été en honneur partout et en tout temps. … » in Manuel du maréchal ferrant, M. Brogniez, Bibliothèque agricole, Staplhaux Imp.-Éditeur, 1850.

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