Archives du blog

mercredi 30 novembre 2022

La déclaration royale de 1700 contre la mendicité et le vagabondage transcrite dans le registre paroissial de la Fresnaie-Fayel

Depuis le Moyen Âge, les figures du mendiant et du vagabond ont suscité des réactions exacerbées. Et ce d’autant plus lorsque des bouleversements sociaux (disette, épidémie, guerre) multipliaient leur nombre. Les pouvoirs en place y voyaient alors une menace, et édictaient des mesures afin de réduire les flots de misère ou tout au moins pour contrôler ces masses de gens devenus indésirables. Aussi à l'aube du XVIIIe siècle la répression des gueux a déjà une longue histoire. J’emprunte à Jérôme-Luther Viret[1] : « C’est au XVIe siècle que l’on commença à exiger des pauvres valides qu’ils travaillent pour se rendre utile, dans un contexte d’explosion du paupérisme, de crise de l’assistance et de valorisation du travail. À partir de 1530, mendiants et vagabonds eurent le choix entre l’expulsion et le travail. Il s’agissait d’initiatives locales prises à l’encontre des mendiants forains. La législation royale vola au secours des villes en contraignant les pauvres à rester dans leur paroisse d’origine. L’ordonnance de Moulins de 1566 affirma ainsi solennellement que les pauvres devaient être nourris au lieu de leur résidence. La tolérance et la compassion reculèrent avec les progrès du mercantilisme, au moins dans les élites sociales qui commandaient la répression, et un système de répression de la mendicité se mit véritablement en place vers le milieu du XVIIe siècle. Si l’on excepte la déclaration du 12 octobre 1686 prévoyant les galères dès la première arrestation, corrigée quelques mois plus tard, la peine de galères resta réservée aux seuls mendiants récidivistes ». L’afflux d’un grand nombre de pauvres vers les villes, et notamment vers Paris, généré par le terrible hiver 1693-1694, ne fit qu'amplifier la répression. Une nouvelle déclaration royale fut donc donnée à Versailles le 25 juillet 1700.

Afin que le peuple soit informé, les déclarations royales étaient en général lues aux prônes des messes paroissiales. En 1700, l’imprimerie étant déjà bien développée en France, on peut imaginer qu’elles parvenaient sous forme imprimée dans chacune des paroisses du royaume. Et si les curés n’avaient guère d’autre choix que de se conformer à l'exercice de la lecture à leurs ouailles, à la Fresnaie-Fayel la déclaration fut aussi recopiée in extenso dans le registre de la paroisse[2]. Il n'y a guère de doute qu’il s’agisse d’une recopie pure et simple tant le texte est proche des versions éditées à l’époque.

Pourquoi le curé de la Fresnaie-Fayel éprouva-t-il le besoin de cette transcription ? A-t-il agi par simple zèle, ou sous la contrainte ? Peut-être voulut-il seulement conserver un texte dont on ne lui laissait pas la copie imprimée afin de pouvoir le proclamer à nouveau lors de prônes successifs ? Nous ne savons pas.   

Et quel pouvait être l’impact d’une telle déclaration sur le peuple, et notamment sur les mendiants et vagabonds ? Auprès des paroissiens de la Fresnaie-Fayel rien ne permet de le savoir non plus. Par contre au niveau du royaume elle n’eut pas l’effet escompté. Il resta difficile de prouver la récidive, et les mendiants valides continuèrent à jouir d’une large impunité. En 1724, il fut donc décidé d’intervenir à nouveau pour mettre un terme au vagabondage et punir ceux qui persistaient à mendier ‘par pure fainéantise’, les mendiants obstinés. Ce fut l’objet d’une nouvelle déclaration, donnée cette fois par Louis XV à Chantilly[3], qui est souvent citée comme l’un des textes les plus importants en la matière.

Mais revenons à la déclaration de 1700. Voici, telle quelle, la transcription qui en a été faite dans de registre paroissial de la Fresnaie-Fayel :


Déclaration du Roy contre les
mandians et vagabonds
donné à Versailles le
vingt cinq juillet 1700
 
Louis par la grace de Dieu Roi de France et de
Navarre : a tous ceux qui ces presentes lettres
verront, salut. La sterilité et les maladies
arrivées durant une partie des années 1693 et 1694
ayant donné lieu a plusieurs de nos sujets qui
demeuroient a la campagne de chercher dans les
villes et particulièrement dans celle de Paris
les secours dont ils avoient besoin, la plus part
ont trouvé tant de douceurs a gaigne par la
mandicité dans une vie libertine et fainéante,
beaucoup plus quils ne pouvoient recevoir par le
travail le plus rude et le plus continu quils ne
pouvoient faire : que l’heureuse moisson quil
plut a Dieu de donner a touttes les provinces
de nostre royaume en la ditte année 1694 et les
soins que l’on a pris dans la suitte nous pû
les retirer de ce genre de vie, dans laquelle mesme
ils elevent leurs enfans. Et comme la pieté
et la prudence nous obligent egalement demployer
touttes sortes de moyens pour les rappeler a leur devoir
soit par une juste punition de leur faineantise sils
y persistent, soit par des secours et des charitez
que nous voulons bien leur faire en cas quils
reprennent dans une vie innocente la culture
des terres et les autres ouvrages de la campagne
dont une partie demeure faute d ouvriers, ou par
la cherté excessive des salaires quils exigent, et
voulant en mesme temps pourvoir autant quil
est possible au soulagement des veritables pauvres  et
leducation de leurs enfans dont la conservation nous est
chere et tres important a lestat.
A ces causes, nous avons enjoint, et par ces presentes
signées de nostre main, enjoignons a touttes sortes de
personnes, tant hommes que femmes agées de quinze ans
et au dessus, valides et capables de gaigner leur vie par
leur travail, soit quils ayent un metier, soit quils nen
ayent pas, de travailler aux ouvrages dont ils pensent
estre capables dans les lieux de leur naissance ou de
ceux ou ils sont demeurant depuis plusieurs années
a peine destre traitez et punis comme des vagabonds.
Et a tous mandians, faineants, vagabonds sans con[ition]
et sans employ de sortir des villes et autres lieux ou ils [se]
trouveront, dans quinzaine après la publication de [la]
presente declaration, et de se retirer incessamment
par le plus droit chemin dans les lieux de leur
naissance. Leur faisant défense de s’attrouper en plus
grand nombre que celuy de quatre. Comme aussy de
demeurer sur les plus grands chemins, et d’aller dans les
fermes de la campagne sous pretexte dy demander laumosne,
a peine a legard des hommes destre fustiger pour la premiere
fois, et pour la seconde a legard de ceux qui n’ont pas
vingt ans du fouet et du carcan, et ceux a l’age et de
vingt ans et au dessus, d estre condamnes aux galeres
pour cinq ans ; et a legard des femmes d estre enfermées pour
un mois dans les hôpitaux ; et en cas de recidive d estre
fustigées et mises aux carcans. Deffendons a touttes personnes
de quelque qualité et condition quelles soient, a peine de
cinq[an]te livres d’aumone applicable aux hôpitaux generaux[4]
des lieux, de donner apres le dit temps aucune chose aux
dits mandians, soit dans les eglises, dans les rues, ou
aux portes, et sans préjudice des aumosnes qui se font
aux pauvres gouteux dans leurs maisons ou ailleurs ;
et d autant que plusieurs de ceux qui se retireront dans
les lieux de leur naissance, auroient peine a trouver leur
subsistance par les chemins, nous voulons bien donner
les ordres necessaires aux commissaires departis dans
nos provinces pour y pourvoir, en rapportant des certificats
du juge de police du lieu de leur depart, contenant les
lieux de leurs passages et celuy ou ils veulent aller.
Enjoignons a tous les mandians valides de travailler
a la moisson, vendanges et autres ouvrages de la
campagne pour y trouver leur subsistance. Et pour
Et pour leur assurer les moyens de vivre dans la
suite, nous donnerons les ordres aux intendans et
commissaires departis dans nos provinces de leur
faire fournir des logements dans les paroisses ou
ils vourdont se retirer ; et des ouvrages pour soccup[er]
pendant l hyver, ou des secours selon leurs besoins
afin quils ayent du moins le necessaire jusques au
mois de mars prochain, dans lequel temps nous
ferons ouvrir des hateliers publics proportionnes
au nombre des pauvres qui auront besoin de travailler
pour subister. Et pour faciliter lexecution de ce que
dessus, voulons quils donnent incessamment aussi
aux curez des paroisses, dans les quelles ils ont
dessein de se retirer, afin quils en avertissent
les dits intendans et commissaires departis.
Enjoignons aux mandians qui ne sont pas
en etat a cause de leurs incommoditez ou de la
caducité de gaigner leur vie par leur travail
et de se retirer dans les lieux de leur naissance
et de se presenter aux hôpitaux generaux des
lieux ou ils sont, ou de ceux qui en sont les plus
proches pour y estre receus. En cas quils se trouvent
de la qualité cy dessus marquée, et traitez aussy
que les autres pauvres. Leur defendons de mandier
a peine pour la premiere fois du fouet et du carcan
et pour la seconde, dy estre enfermez. Faisons defense
aux administrateurs des dits hôpitaux de les y
laisser sortir mesme sous pretexte de manque de
fonds, au quel en cas de besoin , il sera par nous pourveu.
Permettons aux femmes pauvres qui ont des enfans
a la maternelle, de se retirer dans les hôpitaux generaux,
et dy demeurer avec leurs dits enfans pendant le
temps que lon trouvera quelles pourront les allaiter,
et que les dits enfans en auront besoin ; apres quoy elles
seront congediées pour aller travailler aux ouvrages
dont elles sont capables, et y laisseront sy elles veulent
les dits enfans, pou y estre elevez et instruits ainsy
que les autres de pareille qualité. Voulons que les
enfans qu nnt ny pere ny mere, ny aucuns parents
qui en veuilent prendre le soin, et qui nauront aucuns
biens, et qui ne sont pas en age de gaigner leur
vie par aucune sorte de travail, soient receus dans
les dits hôpitaux pour y estre elevez et instruicts
jusque ce quils soient en etat de pouvoir gaigner leur
vie suivant leurs forces. Et pour exciler dans la
suite ceux qui auront quitté la vie faineante
a soccuper a des ouvrages de la campagne et y prendre
des etablissements solides et permanents, leur
permettons de faire valoir pendant cinqteu ans
des heritages jusque a trente livres de revenu sans payer
aucune taille. Enjoignons les laboureurs et autres gens
de campagne de leur prester la semence dont ils
pourroient avoir besoin pour ensemencer les dittes
terres, sur la recolte desquelles ils auront un price
special jusqu’à concurrence des avantages quils aur[ont]
faictes. Enjoignons aux lieutenants generaux
de police de tenir la main a lexecution de no[tre]
presente declaration ; de faire arrester les dits
mandians qui se trouveront dans les villes ou
ils sont etablis, et dans les banlieues dicelles
Et a ceux des dits juges qui sont graduez …
les procez et de juger en dernier ressort avec
les autres officiers des sieges presidiaux ou
principaux baillages royaux des lieux
ceux des dits mandians vagabonds valides et
qui peuvent gaigner leur vie par leur
travail, lesquels seront trouvez contrevenans
a nostre presente declaration apres le temps
y porté, et de les condamner aux peines qui
sont contenues sur les temoignages de ceux qui
les auront veu mandier, ou des archers qui auront
arrestez ou sur autre preuve et note
suffisante de leur mandicité et faineantise,
quil soit besoin d aucune autre instruction
et de faire conduire et enfermer les autres
dans les hospitaux, dans les cas portez par nostre
mesme declaration. Enjoignons aux lieutenant
criminels des dits sieges, et en leur absence aux
lieutenans particuliers, d instruire et de juger en
la mesme manière ls dits procez dans les villes
ou il ny a point encore de lieutenans generaux de police
etablis, ou lors qui ne sont pas graduez. Enjoignons
aux lieutenans criminels de robe courte, chevalliers
du guet, officiers et archers de leur compagnie
et tous autres de prester main forte aux dits lieutenans
generaux de police et aux dits archers d executer
a peine d’interdiction, les ordres quils leurs
donneront pour lexecution de nostre presente
declaration. Enjoignons pareillement aux prevost
de nos cousins[5] les Marechaux de France
vice senechaux, leurs leiutenans et autres
officiers de leur compagnies, d’arrestez dans la
campagne et sur les grands chemins les dits
mandians qui se trouverons contrevenans
a nostre presente declaration, et aux dits prevost
et vice senechaux d instruire leur procez et de les juger
en dernier ressort avec les officiers du plus proche
presidial ou principal siege royal en la maniere
en la manière et avec les formalitez accoutumees.
Si donnons en mandemant a nos ames
et feaux conseillers les gens tenant nostre co[ur]
de parlement a Paris que ces presentes ils
ayent a faire lire, publier et enregistrer, et le
contenu en icelles, garder, observer et executer
selon leur forme et teneur, cessant et faisant
cesser tous troubles et empechements contraires
Car tel est nostre plaisir ; en temoins de quoy
nous aurons faict mettre nostre scel a
ces dittes presentes. Donné a Versailles le
vingt cinq iesme jour de juillet lan de grace
mil sept cents, et de nostre regne le
cinquante huit iesme. Signe Louis et plus
bas par le Roy phes Phelypeaux
et scellées du grand sceau de cire jaune[6]


[1] Vagabonds et mendiants dans les campagnes au nord de Paris dans le premier tiers du XVIIIe siècle, Jérôme-Luther Viret, Annales de démographie historique, 2006/1 n° 111, pages 7 à 30

[2] A.D. Orne, EDPT141_8, vues 269 à 276

[3] Déclaration.concernant les mendians et vagabonds...Registrée en Parlement [le 26 juillet 1724], consultable sur le site Gallica

[4] Louis XIV scelle le 27 avril 1656 un édit confirmant la création d'une institution vouée à l'assistance des pauvres appelée l'Hôpital Général destinée à œuvrer en faveur de la suppression de la mendicité à Paris et dans ses faubourgs, l'institution s'apparente à une direction exerçant à la tête d'un groupe hospitalier. (Source : Wikipedia)

[5] C'est le roi Henry II qui, le premier, honora les Maréchaux de France de la qualité de « Cousin du Roy » dans toutes les ordonnances, édits et autres lettres. Ce titre ne leur était pas exclusivement réservé et d'autres grands seigneurs pouvaient également s'en prévaloir. Cependant, toute la noblesse devait s'adresser aux maréchaux en usant du titre de monseigneur et d'excellence même si l'auteur du courrier était de la plus grande naissance et pouvait se prévaloir de distinctions particulières.

[6] La coloration des sceaux apparut à la fin du XIIe siècle. La chancellerie royale de l'Ancien Régime utilisa la cire verte pour les actes perpétuels, et la cire jaune pour les actes temporaires, la correspondance administrative ou les simples mandements. (Source : Wikipedia) 

 

dessin paru dans 'L'Assiette au Beurre', n° 361, 29 février 1908, page 8

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire