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mercredi 26 mars 2025

Fresno, peintre-photographe à Alençon, décédé tragiquement

 

Bermudo II
 Coll. Musée du Prado

Né le 27 septembre 1824 à Prádanos de Ojeda, dans la province de Palencia, Géronimo Fresno a été étudiant à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando (Madrid), qui conserve encore un dessin d’étude de modèle masculin de 1845. Probablement lié à des membres de la famille Madrazo, il participe dans les années 1850 à la Série chronologique des rois d’Espagne, à laquelle il contribue au portrait de Beremud II de León[1].

Comme beaucoup d’artistes peintres à partir des années 1850, Fresno va laisser de côté ses pinceaux et devenir photographe. Il s'installe en France. On le retrouve d'abord rue Royale à Tours[2], où il se présente comme peintre-photographe. Puis, vers 1864[3], il arrive à Alençon au 3bis rue du Pont-Neuf. C'est là, dans un trois pièces, dont l’une lui sert d’atelier, qu'il va exercer pendant une dizaine d'années. Au début des années 1870, il ouvre une succursale, rue de la Gare à Flers, qu'il confie à un gérant.

On connait de lui de nombreux portraits sur papier albuminé au format carte-de-visite[4]. Dans les années 1860 les photographes prenaient leurs clients en pied, transposant ainsi le canon traditionnel du portrait peint (clichés 1 & 2), après la guerre de 1870 le gros plan a fait son apparition (cliché 4). Fresno a suivi ce mouvement, ce qui facilite la datation de ses photographies ; par ailleurs à partir de 1870 il rajoute un peu de fantaisie avec un liseret sur le support en carton, une façon de faire mieux ressortir le cliché. 

Fresno a également photographié la ville. Moins courantes que les portraits, il existe notamment des vues d’Alençon a ce même format « carte de visite » (cliché 5).

 
cliché 1

 
cliché 2

 
cliché 3

 
cliché 4


cliché 5
 
 verso initial des photos produites à Alençon
verso plus tardif, comportant le rajout de la succursale de Flers  

En 1873, Fresno participe à l’exposition industrielle d’Alençon où il obtient une mention honorable.

Mais un an plus tard, en octobre 1874, survient un drame, Géronimo Fresno est découvert mort dans son appartement à Alençon. Les circonstances sont troublantes. La police ne retrouve ni sa montre, ni argent sur lui où dans ses meubles, pas plus que la clé de sa maison.  S’est-il suicidé ? A-t-il été victime d’un crime crapuleux ? On ne sait pas, mais dans la seconde hypothèse, si le, ou les assassins avaient été appréhendés, le procès en cour d’assises aurait fait l’objet de long compte-rendus dans les colonnes de la presse. Nous n’avons rien trouvé de tel, alors que son décès fut abondamment relaté comme, par exemple, ci-après [5] :

Un assassinat, entouré de circonstances des plus étranges, vient de jeter dans la ville d’Alençon, où il a été commis, une vive émotion.

Un photographe nommé Fresno, espagnol d’origine, demeurant rue du Pont-Neuf, avait cessé de paraître depuis une huitaine de jours. Il vivait seul[6]. Les pensionnaires de l’hôtel où il prenait ses repas le croyaient parti pour Flers, où il avait une succursale de son établissement de photographie, quoiqu’il ne leur eût pas annoncé son voyage. Mais une lettre arrivée de Flers[7] même à son adresse, éveilla les soupçons.

Le 28 octobre, on se décida à enfoncer la porte de son logement, qui se composait d’un atelier et de deux autres pièces. Dans l’une d’elles on trouva le cadavre de Fresno en état de putréfaction, gisant par terre. La tête avait enfoncé un cadre placé le long du mur. A un clou élevé pendait un reste de ficelle assez mince. La rupture en avait-elle été déterminée par la chute du cadavre ? La langue ne sortait pas de la bouche. La montre de Fresno avait disparu. On ne trouva d’argent ni sur lui ni dans ses meubles. Toutefois une de ses poches renfermait une certaine quantité d’obligations au porteur.

Un médecin-légiste, le docteur Chambay fils[8], fut appelé. Il crût à un suicide. Le corps fut inhumé comme celui d’un suicidé. Mais l’opinion publique ne partagea pas cette appréciation. On ne connaissait pas à Fresno de causes de dégoût de la vie. Il faisait bien ses affaires. Qu’étaient devenues sa montre, la clef de sa chambre surtout, clef qui avait dû être emportée, puisque la porte avait été fermée de l’extérieur ?

D’autres indices furent recueillis. On avait entendu dans la maison dont Fresno occupait un étage, le jour même où pour la première fois il avait manqué la table commune, un grand cri, des gémissements[9]. On n’y avait pas fait attention, croyant qu’ils venaient de la rue. C’en était assez toutefois pour faire exhumer le cadavre et le faire examiner de plus près. L’autopsie à laquelle a concouru le docteur Prévost aurait révélé sur la tête et au cou de Fresno la trace de violences.

L’instruction se poursuit. On parle d’une scène assez vive qu’il aurait eue avec des soldats peu de temps avant le moment où l’on suppose qu’il aurait été frappé.

L’aurait-on tué pour le voler ? L’idée du vol ne serait-elle survenue qu’après le meurtre accompli ? L’aurait-on pendu vivant ? Aurait-on, en pendant son cadavre, cherché à donner le change et à faire croire à un suicide, hypothèse qui fut en effet admise tout d’abord ? On ne sait. Il est prudent d’ailleurs, de laisser à la justice sa liberté d’appréciation et d’investigations. Cette triste affaire est le sujet de toutes les conversations.

On se préoccupe aussi beaucoup à Alençon et aux environs de vols nocturnes commis dans un grand nombre d’églises de campagne, avec des circonstances qui semblent révéler les mêmes auteurs. Il a été impossible de les découvrir jusqu’ici. Le voleur ou les voleurs s’introduisent dans les églises à l’aide d’escalade et d’effraction, forcent les tabernacles, pénètrent dans les sacristies, enlèvent les vases sacrés qui ont une valeur métallique, quelquefois même les dévissent pour n’emporter que la partie la plus précieuse. Ils s’emparent aussi du linge d’église. Mieuxcé, Larré, Vingt-Hanaps, Cuissai et plusieurs autres églises ont été ainsi dévalisées en un temps assez court.

La fin de l’article évoque d’autres faits survenus dans la région d’Alençon. A l’époque on a supposé qu’un lien pourrait exister entre ces vols et l’assassinat de Fresno[10]. Mais il n’en est rien, l’alençonnais auteur des vols en question, sa femme, et les recéleurs, des bijoutiers de la ville du Mans, furent arrêtés, et jugés quelques mois plus tard (voir sur ce blog : 1875 à Alençon, l’affaire Mézière).



[1] FeelTheArt®   https://app.fta.art/fr

[2] Dans un parcours fiscal daté de 1863, on relève le nom de Géronimo Fresno, photographe 3, rue Royale à Tours. Il avait francisé son patronyme et signait "G. Fresneau - Artiste Peintre & Photographe". www.portraitsepia.fr

A Alençon, il avait repris l’orthographe initiale « Fresno ».

[3] Images révélées. 150 ans de photographies aux Archives de l’Orne, éditions de l’Étrave, 2007.

[4] Le tirage sur papier albuminé était ensuite contrecollé sur un carton adoptant le format d'une carte de visite (approximativement 6 cm X 10 cm). Le portrait-carte, ou portrait carte-de-visite, était alors une invention récente, le brevet ayant été déposé en 1854 par le photographe Eugène Disdéri.

[5] Le Mémorial de la Haute-Loire, 18 novembre 1874.

[6] « M. Fresno, d’un caractère renfermé, menait une vie très rangée, très honorable ; il apportait dans ses affaires une si grande régularité qu’il ne s’absentait jamais, même quelques jours seulement, sans payer les plus minces dettes qu’il avait pu contacter », in Le Journal d'Alençon et du département de l'Orne, 7 novembre 1874.

[7] « Une carte postale qui lui été adressée par le gérant de sa maison de Flers », in Journal de Flers 11 novembre 1874.

[8] Albert Chambay (1841-1928), docteur en médecine, maire d’Alençon de 1892 à 1904, fils de Germain Chambay (1805-175), docteur en médecine-chirurgien, maire d’Alençon d’octobre à décembre 1871.

[9] « Une religieuse de la Providence a entendu, dans la soirée où l’on présume que le crime a été commis, un cri déchirant », in Journal de Flers 11 novembre 1874.

[10] Le Droit, Journal des tribunaux, de la jurisprudence, des débats judiciaires et de la législation, 6 mai 1875.