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dimanche 9 novembre 2025

Le 22 juillet 1574, Symonne et Pierre, de Saint-Denis-sur-Sarthon, envisagent de se marier

 

Parmi les actes notariés conservés aux Archives départementales, les contrats de mariage constituent une source précieuse pour les généalogistes. Ils mentionnent souvent les parents vivants ou décédés, les biens transmis, la profession, la résidence et les témoins. Il est ainsi possible de retracer la structure sociale et le niveau de vie d'une famille. Un autre intérêt de ces contrats est qu’ils couvrent une période allant au-delà de celle des registres paroissiaux, avec une antériorité de quelques dizaines d’années, et même assez souvent de plus d’un siècle[1].

Prenons l’exemple de celui établi le 22 juillet 1574 en vue du mariage d’un couple originaire de Saint-Denis-sur-Sarthon dans le département de l’Orne. Il permet de remonter d’un peu plus d’un quart de siècle avant le plus ancien registre paroissial de la commune détenu par les Archives départementales, qui date seulement de 1605. 

Ce contrat de mariage a été rédigé dans l’escriptoire des tabellions d’Alençon. L'écritoire est la pièce où l’on écrit. Il s’agit ici, en quelque sorte, de l’étude du notaire.

Les contractants sont Pierre Mesnaiger et Symonne Siette. Lui est le fils de Collin et elle la fille de Servais. Le père de la future est présent, c'est écrit dans le contrat. Quant au père du futur, si sa présence n'est pas certaine, il est très probablement vivant, dans le cas contraire il aurait été noté comme étant défunt. Dans la liste des autres personnes présentes, en fin de contrat, outre les trois témoins nommés, on apprend que Symonne a un frère prénommé Pierre, qui est le fils ainé de Servais.

Le contenu du contrat

Servais Siette promet la somme de 50 Livres tournois qu’il versera le jour du mariage. La livre tournois est l'unité de compte qui prévaut sous l'Ancien Régime. Son cours est fixé par le Roi. C’est une monnaie abstraite, elle sert à homogénéiser les opérations financières[2]. Elle est donc distincte de la monnaie avec laquelle ces opérations sont matériellement effectuées, c’est-à-dire les pièces métalliques frappées tels les louis, les écus, les liards, ...

Avec la somme d’argent, Servais donnera une vache, une génisse et une douzaine de moutons (bergeail), ainsi que deux robes et un chaperon. Il fournira aussi de la vaisselle : un pot, une pinte, une chopine, un plat, quatre écuelles, deux assiettes et deux sauciers. Il est précisé que tous ces ustensiles seront en étain bon et suffisant. Au XVIe siècle, dans les milieux modestes, on utilisait encore beaucoup de la vaisselle de terre cuite ou de bois. Cette pratique de vaisselle en étain révèle alors un niveau de richesse légèrement supérieur. Une poêle à queue ainsi qu’un poêlon en étain complètent la liste. Il y aura également deux coffres, un petit et un grand, les coffres constituant l’essentiel du mobilier de rangement à l’époque dans les foyers ordinaires.

De plus Servais s’engage a trousseler sa fille comme fille de bonne maison. C’est-à-dire qu’elle recevra un trousseau conforme.

En outre, le contrat prévoit qu’en attendant la succession des parents de la future, les époux pourront jouir d’heritages leur appartenant. Le terme héritage désigne les biens immobiliers que sont les terres[3]. En effet, il s’agit là de trois pièces de terres dont les délimitations sont précisées par des biens jouxtant, appartenant à d’autres propriétaires. La surface des pièces en question est exprimée en journee, ou journal. Cette ancienne mesure d’arpentage et de labeur paysan est variable selon les régions et selon les périodes. Elle correspond sans doute ici à environ un quart d’hectare. Dans la dernière pièce de terre, nommée l’Aubespine, Servais se réserve néanmoins le droit d’y retirer deux chênes. Par la suite, ces lopins de terre serviront probablement de pâturages. Peut-être aussi y cueillera-ton quelques fruits à demi-sauvages, ou bien, si l’on dispose de bêches, on y cultivera un peu de légumes et du sarrasin[4]. Au XVIe siècle, ces minuscules tenures, à peine suffisantes pour atteindre le minimum vital, étaient le lot de plus des trois quarts des paysans. Leurs contrats de mariage, et même encore ceux du siècle suivant, ne mentionnent quasiment jamais d’animaux de trait, chevaux ou bœufs, les travaux agricoles s’effectuant à la force des bras seulement.

Enfin, Pierre Mesnaiger, le futur époux, accepte tout ce qu’on lui propose, et promet d’épouser la fille de Servais le plus tost qu'il luy sera possible. Ce n’est pas une simple formule de conclusion, diverses obligations allongent les délais avant le mariage. Les bans doivent avoir étés préalablement publiés trois dimanches consécutifs aux prônes de la messe, même si une dispense partielle peut être obtenue auprès de l’evêque ou de l’un de ses grands vicaires. D’autres dispenses d’empêchement de mariage peuvent s’avérer nécessaires, notamment en cas de consanguinité, ou si l’un des époux est mineur. Le calendrier religieux présente également quelques contraintes, des périodes sont prohibées. Les catholiques ne peuvent pas se marier pendant le temps de l’Avent, le temps de Noël, ni pendant le Carême[5]. On évite aussi le dimanche, les jours de fêtes religieuses, et le vendredi n’est pas conseillé car il y a impossibilité de faire gras (manger de la viande). A cela peuvent s’ajouter des pratiques locales saisonnières, ainsi aux 16e et 17e siècles peu de mariages étaient célébrés en juillet-août en Normandie.

L’acte stipule que Servais Siette promet de verser l’ensemble de la dot de sa fille le jour des épousailles. C’est souvent l’échéance que l’on trouve dans les contrats. Mais dans la réalité les versements s’étalaient, parfois sur des années allant jusqu’à générer des procédures en justice. Dans le cas présent, à peine deux ans plus tard, le 3 mai 1576, une notation en marge atteste que les promesses du père de l’épouse ont été en grande partie tenues. 

 

[AD61 4E70/111] - Alençon - Archives notariales 01/05/1574 - 03/09/1574[6] 

Transcription du contrat

Avertissement : Par rapport au texte initial le nombre de mots par ligne a été respecté. Mais, pour offrir une meilleure lisibilité, les noms propres sont mis en majuscules, quelques accents et ponctuations ont été ajoutés, des développements d’abréviations et des précisions sont apportées entre crochets. Les mots en italique sont des mots dont la transcription est incertaine. 

 

Dudit xxiie juillet Vct LXXIIII [22 juillet 1574]

en l'escriptoire,

Au traicté de mage [mariage] esperé estre faict d'entre Pierre MESNAIGER,

filz de Coll[in] MESNAIGER de St Denys, d'une part, et de

Symonne SIETTE, fille de Servays SIETTE, d'aultre, ont esté

faict les promesses qui ensuivent, cest assav [à savoir] que led[it] SIETTE, pnt [présent]

a promys donner et payer ausd[its] futurs espoux, dedens

le jour des espouzailles, la somme de cinquante livres tournois

en argent. Item une vaiche, une genisse, une douzaine

de bergeail, le tout bon et suffisant. Item deux robes

de couleur, ung chaperon, ung pot, une pinte, une

chopine, ung plat, quatre escuelles, deux assiettes,

deux saulsiers, le tout d'estain bon et suffisant, une

poille à queue, ung poillon d'estain, ung grand coffre,

ung petit, et à trousseler lad[ite] fille comme

fille de bonne maison. Item leur a baillé en actendant

sa succession et celle de sa femme, mère de ladite fille,

pour en jouyr, les héritages cy après declarés, assavoir en seigneur et maitre

chargé des rentes seigneurialles seullement savoir est

ung pré nommé le pré à la Nagotte contenant une

journée ou environ, d'un ch Robine BAUDOUYN, item d'ung journal

de terre ou environ d'un costé les terres de la maison

Dieu, d'aultre ch Jehan de PRÉ, item un demy journal de terre

nommé l'Aubespine de costez et boutz les MESNAIGERS,

pourra led[it] MESNAIGER lever et oster à son proffict,

touttefois … de dessus led[it] her[itage] deux chesnes à choisir

rendus lesdits futurs mariez ausdites successions

de père et mère sans rien raporter fors

les héritages cy dessus pour l'heritaige et au meuble,

raportant lesdites cinquantes livres et

meubles cy dessus donnez ou se passer

à iceulx. Ce qui a esté accepté par led[it]

MESNAIGER, pnt [présent] et acceptant, et promys espouzer

Lad[ite] fille le plus tost qu'il luy sera possible.

Ce faict aussi en la pnce [présence] et du consentement de Pierre

SIETTE filz aisné dud[it] Servays SIETTE dont ils

demeurent encore obligés biens de part et d'aultre.

Pnts [Présents] Damyen MESNAIGER et Jullien LECONTE de St

Denys, et Pierre CHAPERON de Pacé, tesmoins.

[signatures] BARBIER, LECONTE

En marge :

Et le IIIe jour de may

l'an mil Vc LXXVI [3 mai 1576] en

l'escriptoire fut présent ledict

Piere MESNAIGER, lequel

a confessé avoir receu

dudict Servays SYETTE,

present, toutes et chascunes

les promesses mobilles [biens meubles]

qui luy avoit, et à ladicte

Symonne, esté promises

par ledict SYETTE par

le present contract, fors

et reservé la somme

de dix livres tournois,

une robbe et ung

chaperon, dont, etc,

obligeant, etc, biens, etc. Presentz

Damyen MESNAIGER,

Pierre CHAPERON

et René POUPART 

[signature] LECONTE 



[1] Jusqu'à la Révolution française, l'enregistrement des baptêmes, mariages et sépultures, effectué par les curés, constituait l'état civil officiel. La tenue des registres de baptêmes est obligatoire depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Puis l'ordonnance de Blois en 1579 a imposé l'enregistrement des mariages et décès. Cependant les collections  parvenues jusqu'à nous, conservées dans les services d’Archives départementales, débutent en général vers 1600 et sont assez souvent  incomplètent jusqu'à 1667, année ou une ordonnance, dite Code Louis a exigé la tenue des registres en double exemplaire avec dépôt du second au greffe civil.

[2] Autrement dit : Il s'agissait d'une monnaie de référence, utilisée pour pouvoir convertir des sommes dans une même unité, à une époque où une multitude de valeurs était en circulation.

[3] La signification de ce terme « héritage » a pu être un peu différente ailleurs, a fortiori elle a varié aussi selon les périodes.

[4] Le sarrasin, céréale pauvre, mais peu exigeante, et d'une croissance rapide, convenait aux terres froides, nombreuses dans l'Ouest de la France.

[5] Une dispense pour consanguinité autorisait un mariage entre cousins, normalement interdit par le droit canon de l’Église catholique. Si un mariage entre parents du 1er degré (frères, sœurs, oncles, tantes) était absolument interdit, l’autorisation du pape était possible pour des cousins germains (2e degré) et celle de l’évêque, en général, pour des cousins issus de germains (3e degré) ou au-delà.
Par ailleurs, quel que soit le type de dispense, elle pouvait être demandée dans les cas d’urgence (si la mariée attendait un enfant, si le temps prohibé arrivait, …). Mais dans tous les cas, y compris pour une dispense partielle de bans, elle n’était accordée que contre l’acquittement d’une taxe.

[6] Accessible via le site Geneanet : https://www.geneanet.org/registres/view/456409/23

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