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jeudi 7 mars 2024

Les Jourdant, une famille d'escrimeurs à Flers

            

             Du père maître d'armes, au fils champion olympique


Fernand Jourdant est né le 3 février 1903 à Flers dans l’Orne. Son père, Fortuné Jourdant, né à Marseille, a commencé sa carrière comme militaire. Au moment de son mariage, il est maréchal des logis maître d’armes, au 8e Dragons à Lunéville. Il devient ensuite adjudant maître d’armes au 23e dragons de Vincennes, avant de rejoindre, en octobre 1907[1], la Société d’escrime de Genève où, pendant plus de trente ans il est professeur. Il est fait officier d’académie en 1913, puis officier de l’instruction publique en 1929[2]. Il obtient ensuite la médaille d’or de l’éducation physique en 1932. Gabrielle Ernestine Prieur, la mère de Fernand, est originaire de Flers, elle y est née le 28 décembre 1880[3] d’un père teinturier[4].

Fortuné et Gabrielle se sont mariés le 22 avril 1897 à Flers[5]. Comment ces deux-là ont-ils pu se rencontrer ? Il est tentant d’établir une conjecture : Louis Duhazé, oncle de Gabrielle, originaire de Flers lui aussi, fut moniteur d’escrime dans de grandes écoles militaires[6], où il aura forcément rencontré Fortuné Jourdant, la suite est facile à imaginer. Gabrielle est décédée le 13 août 1945 à Flers, Fortuné en 1853 à Toulouse.

Avec un père maître d’armes, professeur dans l’une des salles les plus réputées, Fernand fut très tôt initié à l’escrime. Mais le garçon à d’autres ambitions, il entreprend des études d’ingénieur à l’École spéciale de Lausanne. Cela ne l’empêche pas de continuer à suivre la formation de son père. C’est donc en Suisse qu’il fait ses débuts en compétition où il obtient ses premiers succès. En 1922, 1923 et 1924, il remporte les championnats suisses universitaires de fleuret, d’épée et de sabre. Des victoires acquises avec brio, puisqu’en 1924 tous ses assauts furent victorieux nous rapporte L’escrime et le Tir[7], la revue de la Fédération française.

                                 

Fernand Jourdant ne se limite pas aux rencontres universitaires. Dès 1922 il se classe dans la finale du Tournoi international de Nice. En 1923, il enlève à Dijon le challenge de Bourgogne. Succès qu’il renouvelle en mars 1924, avec son équipe de la Société d’escrime de Genève, dirigée par son père, en battant en finale l’équipe du Cercle militaire de Metz[8]. La même année il gagne aussi le challenge Delacour à Lausanne et celui de la Côte d’Émeraude à Dinard.

En 1925 il continue à briller. Il se classe quatrième au tournoi de Cannes, troisième à Nice, et second, derrière Géo Buchard[9], dans le championnat d’Europe, disputé à Vichy. Enfin en 1927, il est second à Cannes ; puis troisième à Nice.

                 

 Vichy, août 1927, championnat d’Europe d’épée, contre le belge Xavier de Beukelaer[10]

(avec une erreur sur le prénom dans la légende de la photo, Georges au lieu de Fernand)

1927 est aussi l’année où il fait ses débuts en équipe de France. Sa première sélection intervient en décembre pour le match franco-italien organisé par la section « Matchs et assauts » de la fédération nationale d’escrime, au profit du « Million des sports ». Toutefois, malgré ses bons résultats passés, il semble qu’on attende encore qu’il confirme son statut, comme le note Paris-Soir[11] :

C’est à ses récents succès dans les tournois de Cannes et de Nice, et dans le championnat d’Europe d’épée, qu’il doit d’avoir été choisi pour faire partie de l’équipe française pour le match France-Italie.

Jusqu’ici Fernand Jourdant a remporté ses meilleures performances en province, et comme épéiste.

Il faut donc attendre, pour le juger définitivement, comme escrimeur, de l’avoir vu à l’œuvre. L’occasion lui en est offerte ; souhaitons donc qu’il justifiera près de ses équipiers la confiance que Roger Ducret a mise en lui en le présentant aux dirigeants de la section matchs et assauts qu’il préside.

Vers 1930[12] Fernand Jourdant quitte Genève pour s’installer à Toulouse. Il n’arrête pas l’escrime pour autant, bien au contraire. En effet le 1er mars 1931, il remporte le championnat des Pyrénées à Montauban sous ses nouvelles couleurs, celles de l’Aéro-Club de Toulouse. Trois mois plus tard, il participe, avec l’équipe de France, au championnat international d'escrime à Vienne, où il obtient la médaille d’argent par équipe.

Arrive le tournoi de Nice, en mai-juin 1932, avec une innovation qui va révolutionner le monde de l’escrime. Jusque-là, dans les rencontres, les assauts étaient jugés le plus souvent, à l’œil, par un jury. Autant dire que les décisions litigieuses ne manquaient pas, et que les contestations étaient nombreuses. A Nice, pendant toute la durée du tournoi, un appareil marqueur électrique qui permet de mesurer les touches de manière beaucoup moins discutable est alors utilisé. Il a été développé par la Société d’escrime de Genève[13]. Fortuné Jourdant, le père de Fernand, dirige depuis des années cette salle d’Armes réputée. Et l’appareil dont il est question, il en est l’instigateur. Cela fait déjà pas mal d’années que l’engin est mis à l’essai dans différentes compétitions sous la houlette de Jourdant père, s’améliorant ainsi au fil et à mesure des expériences, et finissant par être approuvé par l’ensemble du monde de l’escrime. Le succès de cette machine lui est donc en grande partie imputable, comme le souligne Eugène Empeyta, président de la Fédération Internationale d’Escrime, dans les colonnes de la revue de référence[14] (lire ci-contre). Alors, comment ne pas imaginer que Fernand Jourdant, avec sa formation d’ingénieur et toutes les années passées sous la direction de son père, n’aie pas contribué lui aussi, à la mise au point de cette nouvelle technologie. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si Eugène Empeyta, dans son billet pour encenser l’appareil, note également le succès du fils Jourdant dans ce même tournoi de Nice.

                         

 

En 1932, le palmarès de Fernand Jourdant est déjà riche de moult titres et places d’honneur. Mais en milieu d’année c’est la consécration. Le succès au tournoi de Nice et celui de champion des Pyrénées au sabre, acquis en avril, deviennent presqu’anecdotiques quand, en juillet, il est médaillé d’or par équipe au Jeux Olympiques à Los Angelès. 


L’équipe championne olympique en 1932[15]

A Toulouse Fernand ne se contente pas de jouer de l’épée, il rencontre une jeune femme, Simone, qui va devenir son épouse. En 1934, l’organe de la Fédération ne manque pas d’informer ses lecteurs du mariage de l’athlète et de la demoiselle[16]. En juillet 1936 nait leur fille Monique.

                             

En 1935, Fernand Jourdant fait partie de l’équipe de France qui participe au tournoi de San Remo en Italie[17] en début d’année, puis est encore sélectionné en août pour le tournoi international de Vichy.

En 1937, c’est en tant que capitaine de l’équipe de France qu’il remporte à nouveau l’épreuve d’épée au tournoi de Vichy.                          

                                    

                                                   Le Jour, 20 septembre 1937[18]

En 1938, il dispute, entre autres, le championnat de France de l’épée fin avril, suivie du tournoi de Bayonne en juillet [19]. La fin de sa carrière sportive approche. En 1939, il est victorieux en individuel, et par équipe, au challenge « Bornet » à Brive[20]. Il commence aussi à apparaître dans des rubriques extra-sportives, pour des opérations de gala, telle une soirée donnée au profit d’une caisse de secours de cheminots[21].

La dernière joute en compétition concernant Fernand Jourdant dont on trouve trace date de mars 1941. Il a alors trente-huit ans passés, et malgré cela il se qualifie encore pour la finale du championnat des Pyrénées[22].

L’escrime est l’un des rares sports à avoir admis des professionnels avant les années 1980. En effet, les règles olympiques d’origine, écrites par le Baron Pierre de Coubertin, établissaient spécifiquement que les escrimeurs professionnels, appelés maîtres, pouvaient participer aux compétitions. Des épreuves pour maîtres eurent donc lieu dès 1896. Mais Fernand Jourdant lui est resté amateur. Ce sont ses brillantes qualités, ou domine la finesse de son jeu complet[23] qui lui ont certainement permis d’atteindre le très haut niveau et de s’y maintenir. Sans oublier qu’avec son père considéré comme un maître de l’art et son grand-oncle, moniteur d’escrime, il a aussi bénéficié d’un environnement très favorable. Cependant Fernand Jourdant n’entreprit ni de poursuivre dans la voie familiale, ni de revenir dans sa ville natale. Il s’orienta vers la météorologie[24]. Il est décédé le 2 janvier 1956 à Toulouse, où désormais une rue porte son nom[25].

 

Son père, Fortuné Jourdant, avait néanmoins gardé un lien avec l'Orne, il est revenu y vivre quelques années après sa période genevoise. 

                                         

L’ancien adjudant maître d'armes est, en janvier 1939, l'un des fondateurs du Cercle d'escrime de Flers, et aussi l’un de ses premiers entraineurs.

                         

             Journal de La Ferté-Macé et de l'arrondissement de Domfront, 5 février 1939[26]

En juin 1942, un grand tournoi d’épée est organisé à Flers, au profit des prisonniers de guerre et de leur famille, pour lequel de nombreuses salles d’escrime de Paris et des régions avoisinantes ont prêté leur concours. Le cercle s’est également assuré de la participation de grands champions, tels Pecheux le champion du monde et Guérin le champion de France de l’année précédente. Mais l’autre grande attraction est le fameux marqueur électrique inventé par Fortuné Jourdant, il est utilisé pour la première fois devant le public flerien[27]. Trois ans après la création du Cercle, l’évènement marque le début d’une période faste pour l’escrime à Flers. Un « challenge Jourdant » est créé. L’épreuve va perdurer pendant une dizaine d'années.[28]

Mais en 1945, Gabrielle la femme de Fortuné Jourdant décède, et lui à alors soixante-quinze ans, c’est sans doute les raisons qui le ramènent vers son fils. Il est inhumé à Toulouse en 1953.



[1] Journal de Genève, 15 octobre 1907, page 5.

[2] Les titres d’officier d’académie et de l’Instruction publique furent supprimés en 1955, suite à l’institution de l’ordre des palmes académiques.

[3] A.D. Orne, Flers 3E2_169_24, vue 153/241.

[4] Il deviendra employé à la Banque de France par la suite.

[5] A.D. Orne, Flers 3E2_169_55, vues 108-109/232.

[6] Louis Etienne Duhazé, moniteur d’escrime entre 1890 et 1898, d’abord à l’école de gymnastique de Joinville, puis à l’école militaire de Saint-Cyr.

[7] L’Escrime et le Tir, n° 42, juillet 1924, page 36.

[8] L’Escrime et le Tir, n° 39, avril 1924, page 14.

[9] Georges E. V. Buchard, dit Géo, escrimeur français, membre de l'équipe de France d'épée. Entre 1924 et 1936, il est à de nombreuses reprises médaillé lors des Jeux olympiques, des Championnats du monde et des nombreux tournois qui avaient lieu dans toute l'Europe.

[10] L’Escrime et le Tir, n° 77, octobre 1927, page 21.

[11] Paris-Soir, 16 décembre 1927, page 4.

[12] En juin 1929, il participait au Prix Hauzeur à Paris, encore sous les couleurs de son club de Genève.

L’Œuvre, 16 juin 1929, page 8.

[13] L’Ami du peuple du soir, 14 avril 1932, page 5.

[14] L'Escrime et le tir, n° 124, mai-juin 1932, page 12.

[15] Le Miroir des sports, 23 août 1932, page 185

[16] L’Escrime et le Tir, n° 139, avril 1934, page 22.

[17] L’Escrime et le Tir, n° 146, février-mars 1935, page 8.

[18] Le Jour, 20 septembre 1937, page 1.

[19] La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, 11 juillet 1938, page 3.

[20] La Dépêche de Toulouse, 23 mai 1939, page 4.

[21] Le Midi Socialiste, 7 mars 1939, page 5.

[22] La Dépêche de Toulouse, 3 mars 1941, page 4.

[23] L’Escrime et le Tir, n° 39, avril 1924, page 35.

[24] Nommé aide météorologiste de 6e classe à l’Office national de météorologie, le 1er janvier 1940.

Journal Officiel de l’État Français. Lois et décrets. 13 août 1941, page 3385.

[25] Allée Fernand Jourdant, en face du Stadium, sur l’île du Grand Ramier.

[26] Journal de La Ferté-Macé et de l'arrondissement de Domfront, 5 février 1939, page 5.

[27] Journal de La Ferté-Macé et de l'arrondissement de Domfront, 7 juin 1942, page 2.

[28] François Boscher, Ouest-France, 19 août 2016.

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