Découvrir des photos anciennes d’inconnus prises dans l’Orne, que ce soit dans une brocante ou ailleurs, aiguise toujours notre curiosité. Qui cela peut-il bien être et quelle est l’histoire de ces personnes ? Il y a là comme une sorte d’énigme à résoudre, telle celle que nous a posé deux photos au format cabinet[1] datant des années 1890, sur lesquelles nous reconnaissions l'uniforme d'un brigadier[2] de gendarmerie. Par bonheur, au verso il y avait un patronyme, Charles Pinelli, noté manuscritement peut-être par un membre de la famille, ainsi que le nom et l’adresse du photographe. C’est en tirant sur ces bouts de fil, avec l’aide des ressources en lignes des sites d’Archives départementales, que nous sommes parvenus à obtenir une partie de la pelote. C’est-à-dire retracer les grandes lignes du parcours de ce gendarme à la fin du XIXe siècle.
Commençons par son identité. Issu d’une famille de laboureurs, Charles Pinelli était corse. Il est né le 31 août 1847 au lieu-dit Guiticciu à Pastricciola[3], une petite commune composée d’une constellation de hameaux adossés à la partie méridionale du massif du Monte Rotondo.
L’émigration des corses est un phénomène multiséculaire[4]. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un bon nombre se sont orientés vers des carrières militaires ou dans l’administration. C’est sans doute ce qui a amené notre homme dans le département de l’Orne. Selon sa fiche de matricule[5], il a d’abord effectué son service militaire au 28e régiment de Ligne caserné à Nantes où il a été incorporé en octobre 1868, et avec lequel il a participé à la guerre de 1870[6].
A l’issue de son service, la vie en uniforme lui convenant, Charles Pinelli choisit d’intégrer la gendarmerie. Il est alors nommé gendarme à pied à la Compagnie de l'Orne. La date précise ne figure pas sur la fiche, mais ce n’est pas avant la fin de 1872. Car l’âge minimum requis était de vingt-cinq ans, de même que les postulants devaient avoir une expérience militaire d’au moins cinq années.
Avant leur première affectation en brigade, les gendarmes recevaient une formation de quelques mois au chef-lieu de Compagnie[7]. C’est donc à Alençon que Charles Pinelli a débuté sa carrière, ensuite c’est probablement l’aléa des affectations qui l’a fait nommer à la brigade de Couterne[8].
Le 2 mars 1878 il épouse Mathilde Dumur[9]. Là c’est peut-être moins un hasard, elle est la fille d’un gendarme à pied décédé en 1871 à Alençon. Qu’une fille de gendarme épouse un gendarme était donc dans l’ordre des choses, on restait dans le même monde. Comme d’ailleurs pour le mariage à la mairie, les quatre témoins étaient les collègues de Pinelli ; le brigadier et trois gendarmes, avec le marié la brigade de Couterne était donc là au complet ! Cependant la famille Dumur avait, semble-t-il, aussi un faible pour les hommes de l’Ile de Beauté, car la sœur de Mathilde en épousa également un, à la différence que celui-ci était employé au chemin de fer à Briouze[10].
Gendarme était une profession qui astreignait à de la mobilité pour diverses raisons. Cela permettait entre autres d’accélérer la promotion, mais par ailleurs la nature particulière du métier justifiait que l’on éloigne le gendarme de ses intérêts familiaux. Si les hommes pouvaient formuler des vœux, dont leurs officiers devaient tenir compte, depuis 1861 il était ordonné qu’ils ne soient jamais placés dans l’arrondissement habité par leur famille[11]. Et, il se trouve que la mère de Mathilde, devenue débitante de tabacs[12], s’était remariée en 1873 avec un cultivateur de Couterne. Charles Pinelli devait donc changer d’affectation. Les points de chute ne manquaient pas, la Compagnie de l’Orne comptait une bonne trentaine de brigades à la fin du XIXe siècle[13]. C’est ainsi qu’on le retrouve en 1886 à la Forêt-Auvray[14] avec le grade de brigadier et, pour finir, à Mortagne-au-Perche.
A la fin de sa carrière Charles Pinelli a été décoré de la Médaille militaire. Les gendarmes pouvaient être proposés après vingt-cinq années de services[15] pour la recevoir. Bien que quelques-uns l’obtenaient un peu avant, en récompense d’un acte remarquable pendant le service par exemple. Enfin, le 1er juillet 1893, après vingt-cinq ans, un mois et neuf jours de services effectifs il est admis à la retraite, sa pension est fixée à 904 francs par an[16].
Notre homme est resté à Mortagne-au-Perche. Il n’était plus gendarme, mais comme il n’avait que quarante-six ans, il a pu obtenir un poste à l’octroi au titre des emplois réservés aux anciens militaires. On appelait, sur le papier, les employés municipaux de l’octroi, les octroyens, mais, dans la vie de tous les jours, ils étaient les gabelous, reconnaissables à leur uniforme. Pinelli, avait donc juste changé de tunique. Selon le recensement de 1896, il demeurait rue de Bellême[18]. Au début du XXe siècle, il existait un bureau d’octroi dans cette rue, il est fort possible qu’il s’agissait là, à la fois de son lieu de travail et de son domicile.
Charles Pinelli est décédé à Mortagne le 12 septembre 1923, Mathilde, son épouse, douze ans plus tard, le 20 août 1935. Leur fille unique, Charlotte, née en mars 1879 à Haleine[19], fut employée de commerce. Elle s’était mariée très tôt, en janvier 1896 à Mortagne[20] avec Léopold Lemarié, un garçon épicier, dont elle divorça en 1902. Elle n’avait pas quarante ans quand elle est décédée en juillet 1916 à Paris, sans s’être remariée et sans avoir eu d’enfant.
L’octroi
L’octroi était un impôt local indirect, que les communes étaient autorisées à percevoir sur des objets ou marchandises destinés à la consommation. Il pouvait varier selon les localités et servait à alimenter les caisses municipales. Il a eu cours tout au long du XIXe siècle et jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Les taxes d’octroi étaient encaissées à l’entrée des villes. Les bureaux d’octroi, bâtiments municipaux, étaient le lieu officiel de la perception de l’impôt. Ils cernaient la ville, marquaient des limites à chaque route d’accès, créaient des « portes » d’entrée à franchir [21].






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