Source : A.D. Mayenne,
Lignières-la-Doucelle E dépôt 98/E1, vue 145
Voici quelques éléments d'explication de la lecture et du contexte.
Daté du ‘jour et an que dessus’ c’est-à-dire du jour de l’acte précédent dans le registre, soit le 13 août 1627.
La fonction du défunt est concierge de l’auditoire et prison de la châtellenie. Ce qui n’est pas sa seule activité puisque plus loin on peut lire qu’il exerce le métier de cordonnier.
Le pouvoir de justice d'un seigneur date du Moyen Âge. Toutefois sous l’Ancien régime tous les seigneurs ne jouissent pas du même pouvoir. On distingue au moins trois niveaux : la haute justice pour des délits importants, la moyenne justice pour les crimes châtiés par de légères peines corporelles, ou des affaires avec amendes, et la basse justice pour des affaires de moindre importance passibles seulement de faibles amendes.
La seigneurie de Lignières-la-Doucelle (aujourd’hui Lignières-Orgères) appartenait à la châtellenie de Resné, qui comprenait aussi la seigneurie de Saint-Calais-du-Désert et le patronage de Saint-Samson. Cette châtellenie avait été acquise en 1531 par la famille Le Veneur, dont la résidence principale était au château de Tillières dans l’Eure, mais ils habitaient occasionnellement dans celui de Carrouges[1], situé à quelques kilomètres de Lignières. Il ne semble pas qu’ils aient occupé le château de Resné dont ils se désintéressèrent, et qui de ce fait disparut. Cependant, au moment de notre affaire en 1627, le bailliage annexé à la châtellenie, dont le siège était au bourg de Lignières, existait toujours, et les Le Veneur y exerçaient la haute justice. L’Abbé Angot, dans son dictionnaire de la Mayenne[2], nous dit qu’un carcan était fixé à une maison faisant face à l'église et qu’il y avait un gibet sur la route de Ciral.
Les seigneurs hauts et moyen justiciers possédaient aussi en général une prison, un auditoire, et le personnel nécessaire. L’auditoire était une salle où l’on rendait la justice. Toutes les justices seigneuriales n’en n’avaient pas, mais au moment de l’assassinat de Claude Forton la législation royale interdisait déjà que la justice soit rendue dans la résidence du seigneur. A Lignières, il restait donc encore un auditoire et une prison, vestige de la châtellenie de Resné. L’abbé Angot[3] les situent dans le bourg. Il précise que l’auditoire était un gros pavillon aux murs épais d’un mètre, dont le premier étage servait de prison. Il est fort probable qu’en 1627 le bâtiment abritait également le logement du malheureux Forton.
Claude Forton, la victime, s’était marié à Lignières le 26 novembre 1615 avec Anne Bisson, dont il eut ensuite au moins six enfants. La dernière, Renée, étant posthume, née à peine deux semaines après le drame, le 25 août 1627.
Les deux meurtriers, Elier Blandin et Jean Manson, qui n’étaient alors retenus prisonniers que pour une affaire d’argent, sont originaires des paroisses de St-Ellier-les-Bois et Joué-du-Bois. Des lieux situés aujourd’hui dans le département de l’Orne mais qui sont en fait très proches de Lignières-la-Doucelle. Joué-du-Bois étant limitrophe, et le bourg de St-Ellier-les-Bois est distant d’une dizaine de kilomètres.
Sitôt leur forfait commis, les deux compères ‘contrebaroient’ les portes. Il faut comprendre qu’ils les ont fermées avec des barres. Ils prirent les draps du lit de Forton, ‘les mirent en portion’, la formulation semble elliptique, peut-être afin de s’en servir pour sortir par une lucarne.
Leur évasion tourne court, ils sont rapidement repris, ramenés à la prison, jugés et condamnés à être rompus vifs sur la roue. Ils font appel, sont conduits à Paris, où ils obtiennent la grâce du terrible supplice de la roue, mais pas celle de la mort. Ils sont exécutés le 20 septembre de la même année, soit un peu plus d’un mois après leur méfait.
Au XVIIe siècle, les exécutions à Paris avaient lieu Place de Grève, actuellement place de l’Hôtel de Ville. Le condamné le plus célèbre fut Ravaillac, l'assassin d'Henri IV, écartelé en 1610. Dix-sept ans plus tard, donc, plus de dix mille personnes auraient assisté à l’exécution de Blandin et Manson si l’on en croit le rédacteur de l’acte, qui le rapporte d’après une estimation. Sans doute ne faut-il pas s’attacher à la précision du chiffre, mais plutôt retenir que les spectateurs étaient venus en grand nombre. Ce qui est d’ailleurs tout à fait plausible tant le spectacle des exécutions attirait les foules[4].
[1] Charles de Castilla. La châtellenie de Resné en Lignières-la-Doucelle, in Bulletin de la Société archéologique du Maine, tome 74, juillet 1913. pp. 131-143
[2] Abbé Alphonse Angot. Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne. L’ouvrage est accessible sur le site des A.D. de la Mayenne
[3] Ibidem.
[4] Michel Bée. Le spectacle de l'exécution dans la France d'Ancien Régime, in : Annales. Economies, sociétés, civilisations. 38ᵉ année, n° 4, 1983. pp. 843-862
